Du Monte à Guantánamo: le Changüí

Dans l’extrême Est de Cuba, au cours du XVIII° siècle apparaît, dans les campagnes, les monagnes -El Monte- une manière d’animer musicalement les fêtes familiales et populaires qui est relativement proche de celles qui prédominent dans la toute proche vallée du Río Cauto. Le nengón, le kiribá, la regina, le proto-son sont proches; l’alternative chant et réponse, les instruments utilisés sont pratiquement identiques. Les groupes de musiciens sont informels. Ils s'organisent spontanément dans les fêtes elles-mêmes lorsqu'apparaît le joueur de tres. De droite et de gauche sortent alors les maracas, marimbula, guayo, bongó et les voix émergent de l'assistance.

 


Mais au fil du temps dans la Vallée du Cauto les formes évoluent vers un Proto-Son qui donne naissance à la fin du XIX° siècle au Son traditionnel de l’Oriente santiaguero tandis qu’une évolution différente structure dans la seconde moitié du même siècle dans les régions de Imías, Yateras, Baracoa, San Antonio, El Salvador… une forme spécifique, le Changüí. Des familles se consacrent à jouer cette musique. La mémoire collective se souvient des PÉREZ, MOREIRA, OÑATE…  L’évolution a fait du Changüí un genre spécifique qui bientôt n’entretient plus qu’une ressemblance externe - une certaine sonorité, les instruments utilisés- avec le Son. Ses caractéristiques sont spécifiques.

Le rôle du bongó - l’instrument est plus grand que celui utilisé par les soneros- ;  le travail du tres, de la marimbula, -instruments typiques des deux genres-  sont différents. Dans une phase initiale il est probable qu’ont également été utilisés l’accordéon, la guitare, le cuatro avant de disparaître dans la période de fixation du genre. Il n’est pas exclu que ces premiers instruments aient été des survivances de l’époque à laquelle sont arrivés dans cette région les émigrés français de Saint Domingue. A l’origine les textes sont d’une très grande simplicité, il ne s’agit que d’un refrain à charge du joueur de tres. Progressivement on ajoute quelques couplets, les reginas, avant que n’apparaissent les compositions. On y parle de la fête, des musiciens connus localement, on trouve aussi dans ces textes une chronique sociale en rapport avec le moment.

 

Les instruments typiques du Changüí.

Au fil du temps le Changüí se complexifie. L’organisation des voix devient particulière ; plusieurs voix peuvent intervenir, celles des musiciens ou celles des participants à  la fête elle-même qui prend le nom de Changüí. Elles chantent successivement. L’improvisation en vers avec la controverse deviennent des règles essentielles du chant dans le Changüí.

Au début du XX° siècle le genre gagne les faubourg marginaux de Guantánamo et se forment des foyers de diffusion du Changüí dans des familles comme celles des LATAMBLÉ, CREAGH, MASSÓ, LUQUE , SAVÓN…. Les meilleurs changüiseros commencent à se faire un nom : LOGAS, MASSÓ, La ROSA, Juan JAY,  les treseros Marcelino LATAMBLÉ, Raúl CARPE… y compris quelques femmes comme María GUEVARA ou encore Asunción « Tunto » GAÍNZA. En ville ou dans les campagnes, les musiciens se présentent dans ces changüís ou cumbancheras et s’unissent sur place pour des animations qui, au moment de Noël ou pour célébrer un anniversaire, peuvent durer plusieurs jours. La fête va de maison en maison et manger le chivo ou le lechón fait partie intégrante de la fête. Il n’existe pas de groupes structurés même si certains ont l'habitude de jouer ensembles. Au son du Changüí  l’assistance danse.


L’irruption du Changüí à Guantánamo amorce un processus de différenciation entre la manière de lejouer en ville et dans les montagnes où le genre garde ses caractéristiques plus lentes. De la même façon il subit l’influence de la Tumba Francesa,  très présente dans la ville, notamment pour les rythmes de percussions et pour la manière de danser mais aussi d'autres genres qui s'interprètent en ville.
Mais le Changüí pendant plusieurs décennies reste ainsi une façon de vivre la fête de manière populaire, simple, avec des musiciens purement amateurs. Le genre reste confiné aux couches populaires, à la population noire et fait souvent l’objet d’interdiction de jouer dans les endroits publics.

Ce n’est qu’en 1945 à l’issu d’efforts importants faits par les musicologues Clarisa CREAGH,  Rafael INCIARTE ou le docteur Luis MORLOTE que se structure le premier groupe régulier de Changüí  le « CHANGÜÍ de GUANTÁNAMO ».
Dès lors de nouvelles évolutions vont survenir. La partie vocale dévolue au tresero devient l’affaire d’un véritable chanteur afin de lui donner une réelle qualité. Rapidement apparaît aussi une seconde voix. Sept ans plus tard dans le berceau du Changüi, à Yateras, se structure un autre groupe « Las ESTRELLAS CAMPESINAS » dirigé par Eduardo GOULET.

Estrellas Campesinas & Changüi de Guantánamo,"Vamos pa'l monte". >>>>


A partir des années soixante le Changüí  commence à sortir de la région orientale. Le groupe « CHANGÜÍ de GUANTÁNAMO » participe au 1° Festival de Música Popular à La Havane en 1962.


Groupe Changüí de Guantánamo.

Au long des deux décennies suivantes, grâce à l’opiniâtreté de musicologues, chercheurs et musiciens, le genre s’affermit au sens où la population, les autorités, prennent conscience de l’authenticité du Changüí. Les guantanameros commencent à s’identifier à ce qui devient leur musique. De nombreuses peñas apparaissent, souvent dans la maison de changuiseros ou de leurs descendants. Dans ces maisons les nuits s’animent au rythme du Changüí.
Avec le temps de nouvelles évolutions apparaissent. Au cours des années quatre-vingt une nouvelle manière d’utiliser les voix s’imposent avec une utilisation plus collective et une entrée des instruments à l’unisson. C’est au cours de cette décennie que le premier groupe changuisero « FRONTERA » voyage à l’étranger, en Allemagne de l’Est.
Très vite à partir de ces années le Changüí commence à être interprété par tous les types de formations, conjuntos, jazz bands, orchestres philharmoniques…et ses cellules rythmiques pénètrent d’autres genres notamment sous l’impulsion de Elio REVÉ, guantanamero formé aux rythmes de sa région qui organise son « CHARANGÓN » dans la capitale cubaine dès 1956.
Les dernières années du XX° siècle et les années suivantes voient éclore les Festivals destinés à vivifier, faire connaître le Changüí.

© Patrick Dalmace

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De la Vallée du Cauto à Santiago de Cuba. La naissance du Son.